Il y a dans le comportement d'un grand nombre des utilisateurs du logiciel "Powerpoint" quelque chose qui tient de la vénération. Le "Powerpoint" est un outil sacré. Il n'est pas un support de communication comme les autres, d'ailleurs il n'est pas un support de communication, mais bel et bien LA communication, ce par quoi l'échange est possible et sans quoi rien n'est jamais dit.
Les utilisateurs de "Powerpoint" forment une communauté religieuse dépourvue du sentiment de la conscience collective. Ils ignorent qu'ils sont Eglise, et pourtant, régulièrement, on les voit se réunir dans de petites salles, adopter une attitude où s'entremêlent silence et dignité pour chanter la gloire d'une entité suprême dont la nature divine est encore ignorée. Regroupés autour d'un ordinateur portable dont la mémoire est pleine de vieux fichiers qui s'entassent - émouvants souvenirs des labeurs passés - les adeptes de ce culte d'un genre nouveau pourraient vous raconter la crainte qui les paralyse lorsqu'il s'agit de créer ce qu'on appelle des "slides".
Je ne suis pas sûr de disposer des concepts qui me permettraient de vous décrire de façon très précise ce qu'est une "slide". Pour tenter de mieux comprendre les réalités complexes qui se jouent derrière les transparences de cette "tranche vivante", je me vois contraint de recourir au vocabulaire de la religion catholique - et ceux qui me connaissent comprendront qu'un tel usage ne m'est pas agréable. Bref, pour faire court, disons que la slide est à Powerpoint ce que le Fils est au Père : la preuve par incarnation de l'existence de Dieu, la manifestation fabuleuse d'un processus de Création, le merveilleux mystère d'une Vérité , unique et parfaite, venue dire aux hommes la promesse du Salut final. Oui mes frères nous seront sauvés puisque la slide est là. Elle est même plusieurs alors réjouissons-nous, alléluia, alléluia ! Les slides sont là ! Elles sont légion et forment l'armée divine des comptes-rendus de sessions ! Powerpoint existe, je l'ai rencontré (en CTI 120) !
La "slide" est ce corps numérique dans le ventre duquel s'implante l'embryon d'une pensée collective qui naît de réunions mystiques, de temps d'adoration où les fidèles méditent et contemplent la grandeur d'une Oeuvre actuelle qui s'invente au présent (je tire ces toutes dernière paroles qui ne veulent pas dire grand-chose d'un chant de messe authentique). Par l'intercession de la "slide", le brouillon devient sacré. La "slide" broie les mots pour mieux les digérer, elle les distille, elle les absorbe, et c'est ainsi qu'une opposition complexe s'abrège en "vs", qu'une phrase perd ses membres conjugués et se fait nominale, que plusieurs font "pls" et parce que "pq".
Les "slides" sont rédigées les unes après les autres de façon chaotique - réminiscence d'un néant des origines dont tous nous fûmes tirés. Elles s'agglomèrent et forment la masse d'un Powerpoint qui, au terme d'une période de maturation, se suffit à lui-même. Le Powerpoint est une prière fondamentale, un chant sacré qui ne supporte pas le commentaire ou l'interprétation. On présente un Powerpoint, on le lit, mais il ne s'agirait pas d'en tirer quelque chose qui surgisse hors de lui. Jadis, certains ont osé se servir de Powerpoint - comme s'il on pouvait "se servir" d'un Dieu ! - en contrepoint d'une libre intervention où les "slides" n'étaient que support visuel et complément synthétique. Mécréants ! Infidèles ! Blasphémateurs ! Que vos noms soient effacés du registre éternel où nos vies sont consignées ! Que mille vautours vous dévorent le foie pour les siècles des siècles ! Roulez vos pierres, Sisyphes ! Dans sa colère, Powerpoint n'a point de pitié pour ceux qui le rejettent !
ON LIT UN POWERPOINT... un point c'est tout ! Powerpoint n'apprécie pas l'originalité : un Powerpoint, c'est un fond simple, une police simple, des idées simples (facultatives) et pas le moindre fichier visuel. Paradoxalement (mais toute religion est par essence paradoxale, puisque fausse par nature), Powerpoint n'aime pas non plus l'organisation : les tailles des caractères ne doivent pas être uniformisées, pas plus que les tailles des zones de texte, les tailles des titres et sous-titres, les tailles des encadrés, les tailles des schémas, etc. Qu'importe si l'ensemble n'est pas joli : les critères humains de l'esthétique ne sauraient qualifier un Dieu qui ne peut pas être beau, puisqu'il est le Beau lui-même, il est le Beau par essence, il est l'Idée du Beau (allez donc relire Platon) !
La présentation du Powerpoint débute, les fidèles écoutent. Un déluge de paroles sacrées marmonnées d'une voix sourde et monotone les plonge dans l'état d'une transe céleste qui les endort en même temps qu'elle réveille l'inconscient qui se dissimulait au plus profond de leurs âmes, où la raison ne pouvait accéder. La respiration se fait lente, les paupières tombent et nul ne peut résister, comme sous l'effet d'une hypnose, à l'emprise de Powerpoint et de ses titres soulignés en gras. "En termes d'optimisation, la solution que nous préconisons est qu'il faut consacrer plus de temps aux process clients, et revenir in fine à des process intégrés qui soient créateurs de valeur ajoutée pour la firme, tandis que l'implémentation des nouvelles normes ISO234B-21, conformes à la directive "transport équitable et développement des énergies soutenables" émise en vertu des recommandations de la Charte européenne de la consommation durable, dite "Charte de Cluj-Napoca", du 23 février 2009, permettra le développement pérenne d'une éthique de responsabilité au sein de l'entreprise....".
Un jour viendra, mes frères, où les brouillons sacrés que produisent à la chaîne nos amis les consultants remplaceront tout à la fois le Talmud, la Bible et le Coran. A moins qu'on en fasse des résumés de 20 pages au format ppt.
Les utilisateurs de "Powerpoint" forment une communauté religieuse dépourvue du sentiment de la conscience collective. Ils ignorent qu'ils sont Eglise, et pourtant, régulièrement, on les voit se réunir dans de petites salles, adopter une attitude où s'entremêlent silence et dignité pour chanter la gloire d'une entité suprême dont la nature divine est encore ignorée. Regroupés autour d'un ordinateur portable dont la mémoire est pleine de vieux fichiers qui s'entassent - émouvants souvenirs des labeurs passés - les adeptes de ce culte d'un genre nouveau pourraient vous raconter la crainte qui les paralyse lorsqu'il s'agit de créer ce qu'on appelle des "slides".
Je ne suis pas sûr de disposer des concepts qui me permettraient de vous décrire de façon très précise ce qu'est une "slide". Pour tenter de mieux comprendre les réalités complexes qui se jouent derrière les transparences de cette "tranche vivante", je me vois contraint de recourir au vocabulaire de la religion catholique - et ceux qui me connaissent comprendront qu'un tel usage ne m'est pas agréable. Bref, pour faire court, disons que la slide est à Powerpoint ce que le Fils est au Père : la preuve par incarnation de l'existence de Dieu, la manifestation fabuleuse d'un processus de Création, le merveilleux mystère d'une Vérité , unique et parfaite, venue dire aux hommes la promesse du Salut final. Oui mes frères nous seront sauvés puisque la slide est là. Elle est même plusieurs alors réjouissons-nous, alléluia, alléluia ! Les slides sont là ! Elles sont légion et forment l'armée divine des comptes-rendus de sessions ! Powerpoint existe, je l'ai rencontré (en CTI 120) !
La "slide" est ce corps numérique dans le ventre duquel s'implante l'embryon d'une pensée collective qui naît de réunions mystiques, de temps d'adoration où les fidèles méditent et contemplent la grandeur d'une Oeuvre actuelle qui s'invente au présent (je tire ces toutes dernière paroles qui ne veulent pas dire grand-chose d'un chant de messe authentique). Par l'intercession de la "slide", le brouillon devient sacré. La "slide" broie les mots pour mieux les digérer, elle les distille, elle les absorbe, et c'est ainsi qu'une opposition complexe s'abrège en "vs", qu'une phrase perd ses membres conjugués et se fait nominale, que plusieurs font "pls" et parce que "pq".
Les "slides" sont rédigées les unes après les autres de façon chaotique - réminiscence d'un néant des origines dont tous nous fûmes tirés. Elles s'agglomèrent et forment la masse d'un Powerpoint qui, au terme d'une période de maturation, se suffit à lui-même. Le Powerpoint est une prière fondamentale, un chant sacré qui ne supporte pas le commentaire ou l'interprétation. On présente un Powerpoint, on le lit, mais il ne s'agirait pas d'en tirer quelque chose qui surgisse hors de lui. Jadis, certains ont osé se servir de Powerpoint - comme s'il on pouvait "se servir" d'un Dieu ! - en contrepoint d'une libre intervention où les "slides" n'étaient que support visuel et complément synthétique. Mécréants ! Infidèles ! Blasphémateurs ! Que vos noms soient effacés du registre éternel où nos vies sont consignées ! Que mille vautours vous dévorent le foie pour les siècles des siècles ! Roulez vos pierres, Sisyphes ! Dans sa colère, Powerpoint n'a point de pitié pour ceux qui le rejettent !
ON LIT UN POWERPOINT... un point c'est tout ! Powerpoint n'apprécie pas l'originalité : un Powerpoint, c'est un fond simple, une police simple, des idées simples (facultatives) et pas le moindre fichier visuel. Paradoxalement (mais toute religion est par essence paradoxale, puisque fausse par nature), Powerpoint n'aime pas non plus l'organisation : les tailles des caractères ne doivent pas être uniformisées, pas plus que les tailles des zones de texte, les tailles des titres et sous-titres, les tailles des encadrés, les tailles des schémas, etc. Qu'importe si l'ensemble n'est pas joli : les critères humains de l'esthétique ne sauraient qualifier un Dieu qui ne peut pas être beau, puisqu'il est le Beau lui-même, il est le Beau par essence, il est l'Idée du Beau (allez donc relire Platon) !
La présentation du Powerpoint débute, les fidèles écoutent. Un déluge de paroles sacrées marmonnées d'une voix sourde et monotone les plonge dans l'état d'une transe céleste qui les endort en même temps qu'elle réveille l'inconscient qui se dissimulait au plus profond de leurs âmes, où la raison ne pouvait accéder. La respiration se fait lente, les paupières tombent et nul ne peut résister, comme sous l'effet d'une hypnose, à l'emprise de Powerpoint et de ses titres soulignés en gras. "En termes d'optimisation, la solution que nous préconisons est qu'il faut consacrer plus de temps aux process clients, et revenir in fine à des process intégrés qui soient créateurs de valeur ajoutée pour la firme, tandis que l'implémentation des nouvelles normes ISO234B-21, conformes à la directive "transport équitable et développement des énergies soutenables" émise en vertu des recommandations de la Charte européenne de la consommation durable, dite "Charte de Cluj-Napoca", du 23 février 2009, permettra le développement pérenne d'une éthique de responsabilité au sein de l'entreprise....".
Un jour viendra, mes frères, où les brouillons sacrés que produisent à la chaîne nos amis les consultants remplaceront tout à la fois le Talmud, la Bible et le Coran. A moins qu'on en fasse des résumés de 20 pages au format ppt.
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