dimanche 6 juin 2010

Globalement les gens ne sont pas libres

"Nous naissons déterminés et nous avons une petite chance de finir libres ; nous naissons dans l'impensé et nous avons une petite chance de devenir des sujets." (Bourdieu)

L'idée de la liberté est l'une des principales obsessions de la sociologie bourdieusienne. A rebours d'une philosophie subjective tartouille à la sauce cartésio-rousseauienne, et résolument contre une agora de vieux philosophes qui ne s'adresse qu'à elle-même, pour Bourdieu, qui parle à tout le monde, la liberté n'est pas une caractéristique inhérente à la nature profonde de chacun de nos égos : elle n'est pas un donné, elle reste à conquérir. Il pèse sur la tête d'un trop grand nombre d'individus un trop grand nombre d'idées reçues, de pratiques entretenues, de comportements hérités pour que ces mêmes individus soient en mesure de développer une pensée autonome et par là libérée.

Le constat est facile à faire : combien de personnes autour de nous, lorsqu'ils nous parlent, ne nous disent rien du tout que nous ne sachions déjà, que nous n'ayons déjà entendu ? La plupart de nos interlocuteurs ont pour seul moyen de communication l'usage de la parole-cantique, c'est-à-dire la récitation continuelle de discours perçus comme autant de vérités transcendantes, et qui par ailleurs n'ont aucun intérêt.

En voilà assez de cet enchaînement de clichés pontifiants dont nos yeux sont si las ! Relisons Barthes !

Quand Laurence Parisot parle, ce n'est pas Laurence Parisot qui parle, c'est n'importe quelle école de management. Laurence Parisot est le type-même de l'individu transparent : il n'y a pas d'individu "Laurence Parisot" doté d'une capacité de pensée autonome intéressante, il n'y a qu'une institution qui s'incarne dans le corps de quelqu'un dont on nous dit qu'il s'appelle Laurence Parisot et qui pourrait tout aussi bien s'incarner dans le corps de quelqu'un d'autre qu'on appelerait, au hasard, "Sophie de Menton".

En majorité, les gens ne pensent pas, ils récitent. Ce ne sont pas des mots qui sortent de leur bouche, mais une sorte de bouillie verbalo-conceptuelle prémâchée (l'image est répugnante, j'en conviens, mais la réalité qu'elle recouvre ne l'est pas moins). Ce que les gens vont nous dire est prévisible et se déduit sans erreur de leur activité professionnelle, de leur lieu de naissance, de leur manière de se vêtir et de se coiffer, de leur degré de fréquentation des musées, des stades de foot, des églises... Les gens se soumettent à des lois dont ils n'ont pas conscience. Ils sont les prisonniers d'une geôle sans lumière dont ils ne voient pas les murs - condition d'apparition des illusions qui les aveuglent et les condamnent à ne jamais voir dans son étendue presque infinie la gamme humaine de ce qu'il est possible de faire et de ne pas faire, d'être et de ne pas être, d'aimer et de ne pas aimer. Ils réduisent tous les possibles et n'ont pas même conscience de la vacuité de leur propre existence, qui vaut bien celle de tous les autres.

Ni Dieu, ni maître. Nous sommes ici pour discuter.

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