jeudi 17 juin 2010

De Gaulle, l'écriture et Libération

Le quotidien Libération nous gratifie aujourd'hui d'un merveilleux petit article consacré à une polémique sans intérêt qui paraît-il ne cesse de gonfler. Voici les termes du débat : le troisième tome des Mémoires de guerre du général de Gaulle est au programme de littérature de terminale L pour l'année 2011 (et côtoie de ce fait Homère, Samuel Beckett et Pascal Quignard). Un certain nombre de professeurs se sont offusqués d'une telle décision, sous prétexte que de Gaulle ne serait pas un écrivain comme les autres - ou pire, ne serait pas un écrivain du tout.

Bon. Soit. Les lycées français sont victimes de phénomènes de violence de plus en plus inquiétants, des films comme La Journée de la jupe ou Entre les murs soulignent de façon convaincante le désarroi manifeste du système scolaire, et l'on commence à mettre en évidence une remontée inquiétante de l'analphabétisme, mais on peut trouver encore plusieurs milliers d'enseignants pour consacrer la totalité de leur énergie militante à la diffusion d'une pétition visant à réclamer la radiation des Mémoires de guerre du général de Gaulle du programme de lettres des terminales L. C'est ce qu'on appelle avoir le sens de l'urgence et des priorités.

C'est ainsi qu'une polémique est née et qu'elle oppose défendeurs et pourfendeurs de l'oeuvre littéraire du général de Gaulle. Je fais partie de ceux qui ont lu les Mémoires de guerre. Effectivement, l'oeuvre est datée : elle relève d'un style littéraire que plus personne n'utilise et qui témoigne d'une culture classique que l'on n'enseigne plus guère - si ce n'est, peut-être, à l'école des Chartes. On y retrouve une accumulation de formules rhétoriques qui témoignent de l'habileté d'un auteur dont les talents d'orateur sont connus de tous, doublée d'une succession de métaphores militaires et marines qui ne vont pas sans rappeler les péripéties d'une aventure - celle de la France libre - dont on oublie qu'elle fut à l'origine improbable et désespérée. Il suffit de lire ne serait-ce qu'une dizaine de pages des Mémoires de guerre pour ne plus douter des qualités d'écriture de Charles de Gaulle, chateaubrianesques en diable.

Mais pour les "écrivains" contemporains interrogés par Libération, il ne saurait suffire de souligner que Gaulle écrit bien pour démontrer qu'il s'agit d'un bon écrivain. Au contraire. Il faut se méfier. Que le général de Gaulle maîtrise l'art de l'écriture a quelque chose de fort suspicieux...

Revenons d'abord sur la sélection des écrivains choisis par Libération pour nous donner leur point de vue de spécialistes. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer la formule de présentation retenue par ce quotidien prétendument de gauche - qui n'est guère lu que par des socialistes bon teint dont le conservatisme ne fait aucun doute : "Libération a demandé aux premiers concernés, les écrivains, de trancher". Ben voyons. "Les premiers concernés" en l'occurrence ce devrait être les futurs élèves de terminale, ou encore les professeurs de littérature des lycées français. Mais non, Libération se fiche de la plèbe comme de l'an 36. Libération fait appel à ces courageux pamphlétaires des années 2000, ces maîtres à penser d'une France qui ne lit plus, ces puissances tutélaires qui veillent sur nos cerveaux abrutis par des années de privatisation de la télévision française : c'est-à-dire les écrivains primés du boulevard Saint-Germain. Avouons que ça a tout de même un peu plus de gueule qu'un microttoir à la sauce "20 minutes".

Qui sont-ils, "les écrivains" ? La liste est éloquente : Pierre Bergougnioux, François Bégaudeau, (OMG), Benoit Duteurtre (caution d'équilibre ?), Hédi Kaddour (je ne sais pas qui c'est), Marie Darrieussecq (gloooooooooupss.....j'ai manqué de m'étouffer), Vincent Delecroix (je ne le connais, pas mais je dois reconnaître qu'il se sort finement de cette chausse-trappe), Emmanuelle Bayamack-Tam (jamais entendu parler de cette dame qui tire à la ligne).

Je passe sur l'intervention de Pierre Bergougnioux, qui rappelle que de Gaulle est un conservateur d'extrême-droite et que la lecture de ses oeuvres n'a pas d'autre intérêt qu'historique (itae missa est).

Le point de vue de l'insupportable François Bégaudeau a quelque chose de plus réjouissant. Déjà, il lui faut dix lignes pour nous préciser qu'il n'a lu aucune des oeuvres du général de Gaulle. C'est intéressant. François Bégaudeau ne sait rien du style littéraire gaullien, mais demandons-lui tout de même ce qu'il en pense. A Libé on est dada. On demande leur avis à des gens qui n'ont rien à dire - on ne sait jamais, le n'importe-quoi produit parfois de très belles choses. En l'occurence c'est réussi. Puisque François Bégaudeau n'a rien lu de De Gaulle, il change aussitôt de sujet et choisit de nous parler d'un auteur qu'il connaît beaucoup mieux, à savoir lui-même. Après nous avoir précisé qu'il était le dernier écrivain non-gaulliste de sa génération (ce qui ne veut pas dire grand-chose et ce qui me semble totalement faux mais François Bégaudeau est persuadé qu'il est punk donc il se moque éperdument de nous raconter des choses qui pourraient produire ne serait-ce qu'un embryon de réflexion sensée), voici qu'il nous rapporte l'anecdote suivante : "une prof croisée récemment m'a dit qu'elle avait mis un extrait d'Entre les murs dans sa liste". Oh mon Dieu. Et personne pour s'en indigner ?

Benoit Duteurtre dont le dernier roman (Le Retour du général) est drôle et bien écrit dénonce les faux-semblants d'une polémique qui lui paraît stérile : son intervention est une respiration au sein d'un article où le plus monstrueux reste encore à venir.

Hédi Kaddour : je ne sais pas qui est Hédi Kaddour, j'imagine qu'il est un proche collaborateur d'Edwy Plenel, si l'on s'en tient à la teneur de ses propos. De Gaulle n'est pas un écrivain, nous dit-il, mais tout au plus un scribouillard qui s'est contenté de retranscrire la trame d'une "directive politique", de la même façon que Mao composait des poèmes et Staline des essais linguistiques (oh comme c'est fin... il faut sous-entendre par ces comparaisons judicieuses une dénonciation très habile de la dictature personnelle de l'homme du 18 juin).

Et voici qu'intervient ma chouchoute... Aaaaaaaah.... Marie Darrieussecq, ENS Ulm, agrégé de Lettres classiques, auteur d'une cochonnerie titrée Truismes que je ne voudrais même pas recommander au plus sinistre de mes adversaires. Marie Darrieussecq écrit mal, et n'aime pas les gens qui écrivent bien. Elle écrit mal et elle écrit peu (une vague dizaine de lignes). Elle nous raconte qu'elle avait un grand-oncle qui lui lisait des lignes de De Gaulle quand elle avait 8 ans. Elle a dit : "beurk, c'est caca boudin". Ce grand-oncle était peut être un très vilain petit bourgeois, mais je ne vois pas bien en quoi cela pourrait relever l'intérêt de cette anecdote dont je me fiche totalement.

Vincent Delecroix, disais-je, est plus malin. Ce n'est pas tant la présence du général de Gaulle au programme des terminales L qui l'étonne que la composition générale de ce même programme , qui nous fait passer sans transition de Homère à trois écrivains de la seconde moitié du XXe siècle en sautant - à grande enjambée - tout-à-la-fois Rabelais, Corneille, Racine, Molière, Saint-Simon, Voltaire, Balzac, Flaubert, Sand, Zola, Proust, Céline et Valéry (quelle souplesse).

Enfin, pour conclure cet article étonnant, une centaine de lignes signées Emmanuelle Bayamack-Tam qui a tellement de choses à nous dire qu'une note de bas de page nous invite à consulter sur internet la suite de l'entretien prolongé qu'elle a bien voulu donner à Libération - entretien qui se présente sous la forme d'un enchevêtrement de clichés pontifiants : "avant même d'avoir ouvert les Mémoires de guerre, vous vous doutez qu'il ne s'agit pas de littérature" (ah bon ? c'est quoi alors ? une partition de musique ? une boîte à camembert ?), "il (de Gaulle) ne s'embarrasse d'aucun détour ni écart formel - qui sont le lieu de la littérature" (traduction : c'est quand c'est moche et bizarre qu'il y a littérature, thèse qui visiblement ne vaut même pas la peine d'être argumentée selon Bayamack-Tam puisqu'elle revêt comme-de-bien-entendu toutes les apparences de l'évidence), etc. Le tout agrémenté d'une glorification de la littérature à fautes de grammaire supposée supérieure - car subversive (hé hé !) - aux oeuvres qui relèvent d'une indiscutable maîtrise formelle.

Jusqu'à ce matin, je n'aurais jamais pensé élever au panthéon de mes oeuvres de prédilection les Mémoires de guerre du général de Gaulle. Après la lecture de pareilles tartufferies, pour le seul plaisir de me dresser contre les admonestations de la vulgate germopratine, je m'en vais les y placer, entre les comédies de Molière et les Règles de l'art de Pierre Bourdieu.

















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