dimanche 22 août 2010

Lingua Latina Delenda est ?

La France ose encore débattre de culture. Si cette particularité tourne parfois à l’autosatisfaction, voire à un passéisme nombriliste qui stérilise toute créativité, elle n’en demeure pas moins la rare preuve d’exigence qui permet encore à certain Européens de défendre l’idée de civilisation. Cependant, le respect qu’à la France pour la culture la conduit trop souvent au conservatisme et aux combats d’arrière garde qui aveuglent sur les perspectives de leurs positions nombre d’intellectuels et d’érudits pourtant très bien intentionnés.

Ces dernières semaines, une polémique malheureusement trop discrète anime l’Education nationale. La réforme du concours du CAPES de lettre classique réduira drastiquement le niveau de compétence des futurs certifiés en latin, grec ancien et culture classique en fondant ces trois épreuves distinctes en une seule. Le jury a courageusement démissionné, et publié une tribune qui exprime très brillamment leur position. Bien entendu, le problème n’est pas vraiment dans la réforme de ce concours, mais bien dans la place que latin, grec, et culture classique doivent occuper à l’école, et plus généralement dans notre société.

Il me semble que dans cette affaire, tout le monde se fourvoie. En effet le jury a raison de protester contre cette réforme qui cherche à détruire l’enseignement de la culture classique en catimini, ce qui est tout simplement honteux. Cependant, il a tort, profondément tort, de continuer à vouloir imposer le latin et le grec comme un enseignement fondamental et basique.

Non le latin, et a fortiori le grec, n’ont plus leur place au collège, depuis longtemps. L’école française est extrêmement ambitieuse et généreuse, c’est tout à son honneur. Mais elle a demandé et demande trop aux élèves. Les programmes français veulent tout embrasser, tout apporter au plus grand nombre, et échoue dans les faits à transmettre à la majorité des enfants les bases indispensables à une telle ambition. La conséquence est bien connue : pour un budget colossal, le niveau moyen des élèves est certes bon, mais en deca des objectifs assignés. Surtout, beaucoup trop d’élèves sortent sans qualification, ayant échoué à maitriser la langue française et les méthodes de travail essentielles. En revanche, les élites scolaires, celles qui ont été capables de jouir pleinement des ambitions généreuses de l’école ont un niveau exceptionnel de culture général –bien que malheureusement, la culture générale, fierté latine, ne soit reconnue par aucun classement international, arme saxonne…

Bien entendu, il y a plusieurs explications à ce décalage dramatique entre l’ambition républicaine légitime et les résultats obtenus. Mais la surcharge des programmes en fait partie. Déjà, les élèves qui choisissent le latin et le grec doivent avoir cours à des horaires iniques, au déjeuner ou tard le soir. Il ne s'agit pas seulement d'une manipulation cruelle du rectorat pour réduire les vocations –ca l’est parfois certes- mais souvent qu’il n’y a tout simplement plus d’autres horaires disponibles !

Le collège unique, qui réunit presque tous les jeunes Français doit être le lieu de l’apprentissage des savoirs basiques et fondamentaux. L’élève moyen n’a tout simplement plus le temps, et je suis désolé d’insister sur cette triviale simplicité, d’apprendre une langue morte dont la connaissance fait désormais partie de l’érudition, non pas du bagage ordinaire de l'honnête collégien. Dans la tribune dont je parlais initialement, les promoteurs du latin –et je ne parle pas du Grec ancien- peinent d’ailleurs à trouver des arguments en leur faveur : connaitre l’étymologie d’un mot dans les différentes langues européennes ? Encore faudrait-il d’abord les maitriser ! Savoir pourquoi on emploie un Alpha dans une formule mathématique ? De qui se moque-ton ?

Reste la connaissance de la culture classique. Sauf qu’aucun élève n’étudie la culture classique au collège, tout au mieux a-t-on un ou deux cours de mythologie et de civilisation. Une fois encore la raison en est fort simple : les enseignants n’ont pas le temps de faire apprendre une langue au demeurant extrêmement compliquée –car elle demande de connaitre avant parfaitement la grammaire, or en 5eme…- qui ne laisse aucun temps aux « loisirs » mythologiques. J’ai moi-même fait 9années de latin, et j’en suis très heureux au final, mais le temps passé à étudier la culture classique a représenté une partie néglgeable des cours. Par ailleurs, les textes classiques sont d’un abord difficile et nécessitent déjà de bonnes connaissances historiques. Mieux vaut donc renforcer une première approche de la culture classique à travers l’histoire, le français mais aussi les sciences, la musique, le sport et les arts plastiques qu’il faut extraordinairement renforcer au collège.

La place du latin –le grec est renvoyé aux calendes universitaires- est donc bien au lycée, dans un cursus adressé à des élèves qui auront les moyens de bien profiter d’une précieuse culture classique.

Bien entendu, moins d’élèves auront, au cours de leur cursus fait du Latin. Mais je défends volontairement une approche qualitative. La systématisation du saupoudrage depuis quarante ans n’a eu d’autre effet que de noyer les élèves dans un magma indéchiffrable. Aujourd’hui, il y a plus d’élèves qui suivent des cours creux de latin au collège que de vrais latinistes, et l’essentiel de l’effectif se contente de réciter par cœur des textes prémâchés par leurs professeurs le jour du bac ; cela n’a aucun sens. Le latin, comme toute connaissance, n’a d’utilité que si on atteint un certain pallier en dessous duquel ce n’est que du temps perdu. Gâcher des heures de travail pour, au sortir de sa scolarité, vaguement se souvenir de la première déclinaison n’a aucun intérêt.

A la lecture de ce billet, vous pourrez vous étonner de mon propos de départ, qui semblait soutenir le jury démissionnaire. Pourtant, cela s’avère la conclusion de mon raisonnement qualitatif. S’il ne sert à rien qu’un gamin de 12 ans perde son temps à réciter « rosa rosa rosam », il est absolument indispensable que son professeur de Français lui, le sache ! Il faut cesser urgemment la politique délétère qui consiste à systématiquement abaisser le niveau d’exigence universitaire. Si le collège doit être le lieu d’un enseignement rigoureux mais raisonnable, l’université doit redevenir un lieu d’excellence, et les professeurs des représentants de cette formation d’excellence. Commenter une page de manuel scolaire, ou réciter la catéchèse du bon fonctionnaire, soient les deux nouvelles épreuves qui remplaceront le Grec et le commentaire d’œuvre classique, sont tout bonnement pathétiques.

Défendre le latin donc, mais en lui redonnant une vraie place au bon moment, non en cherchant à préserver un modèle qui d’année en année révèle son absurdité, quitte à emporter toute la culture classique dans sa chute.
Qui trop embrasse mal étreint.

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